Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/65

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enfin une aventure. Mme Brion n’en soupçonnait rien. Elle aimait Ely, de la sentir si vivante, sans se rendre compte que ce mouvement, cette vitalité, cette énergie ne pouvaient pas aller, chez une créature de cette race et de ces libres allures, sans de hardies et coupables expériences. Mais n’est-ce pas la première condition et la définition même de l’amitié, cette partialité inconséquente qui nous fait oublier devant certaines personnes la grande loi si connue et que le langage vulgaire exprime si simplement : tout être a les défauts de ses qualités ? La haine et l’envie ne voient que les défauts. Est-il si injuste que l’amitié ne voie que les qualités ?

Cependant, si aveuglée par l’amitié que soit une femme et si honnête, si peu initiée aux intrigues de son entourage, elle n’en est pas moins femme. À ce titre, il semble qu’elle possède un instinct spécial pour les choses du sexe. Cette infaillible divination lui fait sentir inconsciemment, j’allais dire animalement, si l’amie en qui elle a le plus de confiance se conduit comme elle-même dans ses rapports avec les hommes. Louise n’aurait pas su formuler en quoi Ely avait changé ; pourtant, à chaque nouvelle entrevue, depuis quelques années, elle percevait ce changement. Était-ce une fantaisie plus libre d’attitude et de toilette, une hardiesse dans le regard, l’aisance à interpréter dans un sens coupable toute intimité autour d’elle, un désenchantement, presque un cynisme habituel de la conversation ? Ces signes auxquels se reconnaît la femme qui a osé braver les préjugés de la convention,