Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

éteignaient leurs feux, et, de la terrasse, les deux femmes pouvaient les voir qui maintenant, toutes blanches, presque fantomatiques parmi le floconnement obscur et impénétrable des oliviers, s’endormaient du vaste sommeil répandu sur ce paysage. L’apaisement de cette heure était si complet que les promeneuses n’entendaient d’autre bruit que le craquement du gravier sous leurs petits souliers du soir et le frisson de leurs robes. Ce fut Mme de Carlsberg qui rompit la première ce silence, entraînée par le charme de penser tout haut, délicieux par une telle heure, auprès d’une telle amie. Elle s’était arrêtée une minute pour regarder plus fixement le ciel, et elle dit : — « Que cette nuit est pure et comme elle est douce ! Toute petite fille, à Sallach, j’avais une gouvernante Allemande qui savait le nom de toutes les étoiles. Elle m’apprenait à les connaître. Je les retrouve encore : voici la Polaire, Cassiopée, la Grande Ourse, Arcturus, Véga de la Lyre. Elles sont toujours à la même place.., Elles y étaient avant que nous ne fussions nées, elles y seront quand nous serons mortes. Penses-tu quelquefois à cela, que la face de la nuit était la même quand vivaient Marie-Antoinette, Marie Stuart, Cléopâtre, toutes ces femmes dont les noms nous représentent, par delà des années et des siècles, d’immenses malheurs, de tragiques malheurs, de grandes gloires ? Penses-tu qu’elles ont ; regardé cette même lune et ces mêmes étoiles aux mêmes pointe de l’espace, avec les mêmes yeux que nous,