Page:Bourget - Une idylle tragique, Plon-Nourrit.djvu/75

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n’ose plus te répéter son nom, maintenant que je vois comment tu prends la chose… Et pourtant, tu n’as pas le droit d’en vouloir à cet homme. Car, s’il est devenu amoureux de toi, c’est bien ta faute… Tu as été si imprudente avec lui, laisse-moi tout te dire, si coquette ! … » Et après un silence : « C’est le jeune Pierre Hautefeuille… »

L’excellente femme avait un battement de cœur en prononçant cette dernière phrase. Elle voulait bien empêcher Mme de Carlsberg de prolonger une coquetterie qu’elle jugeait imprudente et malsaine ; mais le courroux qui avait contracté le visage de son amie lui faisait craindre de dépasser le but et d’attirer sur l’indiscret amoureux quelqu’une de ces colères dont elle savait Ely capable ; et cela, elle se le fût reproché comme une indélicatesse, une trahison presque, envers le pauvre garçon dont elle avait surpris le tendre secret. Mais non, ce n’était pas la colère qui avait, au seul nom de Pierre Hautefèuille, décomposé les traits de Mme de Carlsberg et empourpré soudain ses joues. Louise, qui la connaissait bien, put voir qu’une émotion profonde venait de la saisir, mais qui n’avait plus rien de commun avec la fierté révoltée de tout à l’heure. Elle en demeura si interdite qu’elle s’arrêta de parler. La baronne Ely, de son côté, n’avait rien répondu, en sorte que les deux femmes recommencèrent de marcher en silence. Elles étaient entrées dans une allée de palmiers que la lune criblait de sa lumière sans en dissiper l’obscurité. Comme Mme Brion ne voyait plus le