Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/103

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parti en avant avec un détachement, escortant un caisson appartenant au maréchal Bessières. L’on m’avait assuré qu’il était arrivé depuis deux jours et logé dans un faubourg. Le plaisir de le revoir, l’espoir aussi d’avoir quelques vivres qu’il avait pu, sans doute, se procurer avant notre arrivée, et aussi de partager son logement, fit que je ne balançais pas à le chercher de suite.

Ayant pris mes armes et mon sac, sans rien dire à personne, je rentrai en ville par la même route que nous étions venus, et, après avoir tombé plusieurs fois en descendant cette pente rapide et glissante que nous avions montée en arrivant, j’arrivai près de la porte par où nous étions entrés.

J’arrêtai pour voir dans quel état étaient les hommes que nous avions laissés près du poste qui était à la porte, composé de soldats badois dont une partie formait la garnison. Mais quelle fut ma surprise ! Cet ami que nous avions laissé avec d’autres malades, en attendant de venir les chercher, je le trouvai à l’entrée de la baraque et n’ayant plus sur lui que son pantalon, car on lui avait ôté jusqu’à sa chaussure. Les soldats badois me dirent que des soldats du régiment étaient venus chercher les autres, et qu’ayant trouve celui-la privé de la vie, ils l’avaient eux-mêmes dépouillé, et qu’ensuite ils avaient tourné la ville le long du rempart, avec les deux malades qu’ils avaient enlevés, espérant avoir le chemin meilleur.

Pendant que j’étais là, plusieurs malheureux soldats de différents régiments arrivaient encore, se traînant avec peine, appuyés sur leurs armes. D’autres, qui étaient encore sur l’autre bord du Boristhène, n’y voyant pas ou trompés par les feux, étaient tombés dans la neige, pleuraient, criaient en implorant des secours. Mais ceux qui étaient là, bien portants, étaient des Allemands ne comprenant rien ou ne voulant rien comprendre. Heureusement qu’un jeune officier commandant le poste parlait français. Je le priai, au nom de l’humanité, d’envoyer des secours aux hommes de l’autre côté du pont. Il me répondit que, depuis notre arrivée, plus de la moitié de son poste n’avait été occupée qu’à cela, et qu’il n’avait presque plus d’hommes ; que son corps de garde était rempli de soldats malades et blessés, au point qu’il n’avait plus de place.