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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/135

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plus maltraités que nous : étant plus rapprochés de la ville, ils étaient exposés à un feu plus meurtrier. Depuis une demi-heure, l’Empereur s’était retiré avec les premiers régiments de la Garde et en suivant la grande route ; il ne restait plus que nous sur le champ de bataille, et quelques pelotons de différents corps, faisant face à plus de cinquante mille hommes ennemis. Dans ce moment, le maréchal Mortier ordonne la retraite, et, aussitôt, nous commençons notre mouvement, en nous retirant et au pas, comme à une parade, et suivis de l’artillerie russe qui nous écrasait par sa mitraille. En nous retirant, nous entraînions avec nous ceux de nos camarades qui étaient le moins blessés.

Le moment où nous quittâmes le champ de bataille fut terrible et triste, car lorsque nos pauvres blessés virent que nous les abandonnions au milieu d’un champ de mort, et entourés d’ennemis, surtout ceux du 1er voltigeurs, dont une partie avait les jambes brisées par la mitraille, nous en vîmes plusieurs se traînant péniblement sur leurs genoux, rougissant la neige de leur sang ; ils levaient les mains au ciel en jetant des cris qui déchiraient le cœur, pour implorer notre secours ; mais que pouvions-nous faire ? Le même sort nous attendait à chaque instant, car, en nous retirant, nous étions obligés d’abandonner ceux qui tombaient dans nos rangs.

En passant sur l’emplacement qu’occupaient les fusiliers-chasseurs qui étaient placés à notre droite, et qui marchaient devant nous, et comme notre second bataillon, celui dont je faisais partie, formait, dans ce moment, l’arrière-garde et l’extrême gauche de la retraite, je vis plusieurs de mes amis étendus morts sur la neige et horriblement mutilés par la mitraille ; parmi eux était un jeune sous-officier avec qui j’étais intimement lié : il se nommait Capon ; il était de Bapaume ; nous nous regardions comme pays.

Après avoir passé l’emplacement des fusiliers-chasseurs, et comme nous étions à l’entrée de la ville, nous vîmes, à notre gauche, à dix pas de la route et contre la première maison, des pièces de canon qui, pour nous protéger, faisaient feu sur les Russes qui s’avançaient ; elles étaient soutenues et suivies par environ quarante hommes, tant canonniers que voltigeurs ; c’était le reste d’une brigade commandée par le général Longchamps ; il sortait de la