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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/143

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en mettant la baïonnette au bout du fusil, et à nous signifier de ne pas entrer ; nous leur répondîmes sur le même ton, en faisant de même, et nous forçâmes l’entrée. Alors ils se retirèrent un peu, et un Italien leur cria : « Faites comme moi, chargez vos armes ! — Les nôtres le sont ! » répondit un sergent-major de chez nous ; et un combat sanglant allait s’engager entre nous, lorsqu’il nous arriva du renfort. C’étaient des hommes de notre régiment : alors, voyant qu’il n’y avait rien à gagner, et qu’à notre tour, nous n’étions pas disposés à les souffrir près de nous, ils prirent le parti de sortir et de s’établir non loin de là.

Malheureusement pour eux, pendant la nuit, le froid augmenta considérablement, accompagné d’un grand vent et de beaucoup de neige. Aussi, le lendemain matin, lorsque nous partîmes, nous trouvâmes, non loin de l’endroit où nous avions couché, et sur le bord de la route, plusieurs de ces malheureux que nous avions fait sortir du temple, et qui, trop faibles pour aller plus loin, avaient expiré devant le portail. D’autres avaient péri plus loin, dans la neige, en cherchant à gagner un endroit pour s’abriter. Nous passâmes près de ces cadavres sans rien nous communiquer. Que de tristes réflexions devions-nous faire sur ce tableau dont nous étions en partie la cause ! Mais nous en étions venus au point que les choses les plus tragiques nous devenaient indifférentes, car nous disions de sang-froid et sans émotion que, bientôt, nous mangerions les cadavres des hommes morts, car dans peu de jours, il n’y aurait plus de chevaux pour se nourrir.

Une heure après nous être mis en marche, nous arrivâmes à Doubrowna, petite ville habitée en partie par des Juifs, et où toutes les maisons sont bâties en bois, et où l’Empereur avait couché avec les grenadiers et chasseurs de la Garde et une partie de l’artillerie. Nous les trouvâmes sous les armes ; ils nous apprirent que, la nuit, une fausse alarme les avait forcés d’être constamment dans la position où nous les trouvions, que c’était ce qui pouvait leur arriver de plus malheureux, car ils avaient espéré passer la nuit dans des maisons bien chauffées et habitées ; mais le sort en avait décidé autrement.

Nous traversâmes cette ville de bois pour aller à Orcha.