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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/161

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même, que cet endroit est occupé par des Russes, car si c’étaient des Français, l’on y verrait des grands feux ; nos soldats, à défaut de nourriture, se chauffaient très bien lorsqu’ils le pouvaient, et là, justement, le bois ne manque pas ! Je ne concevais pas qu’un endroit comme celui où je me trouvais, à l’abri du vent, n’eût pas été choisi pour y passer la nuit. Enfin je ne savais si je devais rester ou partir.

Pendant que je faisais ces réflexions, mon feu avait considérablement diminué, et je n’osais y remettre du bois. Mais l’envie de me réchauffer et de me reposer quelques heures l’emporta sur la crainte. J’en ramassai autant qu’il me fut possible, j’en fis un bon tas que je mis près de moi, de manière à le pouvoir prendre sans me bouger, et me chauffer ainsi jusqu’au jour. Je ramassai aussi plusieurs schabraques pour mettre sous moi, et, enveloppé dans ma peau d’ours, le dos tourné au caisson, je me disposai à passer ainsi le reste de la nuit.

En mettant du bois sur mon feu, je m’aperçus qu’il se trouvait, parmi les morceaux, une côte de cheval, et, quoiqu’on l’eût déjà rongée, il y restait encore assez de viande pour apaiser la faim qui commençait à me dévorer, et, quoique couverte de neige et de cendres, c’était, pour le moment, beaucoup plus que je n’aurais osé espérer. Depuis la veille, je n’avais mangé que la moitié d’un corbeau que j’avais trouvé mort, et, le matin avant mon départ, quelques cuillerées de soupe de gruau mélangée de morceaux de paille d’avoine et de grains de seigle, et salée avec de la poudre.

À peine ma côtelette était-elle chaude, que je commençai à mordre, malgré les cendres qui servaient d’assaisonnement. Je fis, de cette manière, mon triste repas, en regardant de temps à autre, à droite et à gauche, si je ne voyais rien autour de moi qui pût m’inquiéter.

Depuis que j’étais dans ce fond, ma position s’était un peu améliorée. Je ne marchais plus, j’étais à l’abri du vent et du froid, j’avais du feu et à manger. Mais j’étais tellement fatigué que je m’endormis en mangeant, mais d’un sommeil agité par la crainte, et interrompu par les douleurs que j’avais dans les cuisses : il semblait que l’on m’avait roué de coups. Je ne sais combien de temps je me reposai,