quelque chose qui ressemblait beaucoup à une bouteille. J’en fis de suite l’observation à Picart qui, aussitôt, cria : « Halte ! »
En moins de deux minutes, le portemanteau fut ouvert et, sous la première enveloppe, je tirai une bouteille qui contenait quelque chose qui ressemblait à du genièvre, tant qu’à la couleur. Nous ne nous étions pas trompés, car Picart, sans se donner la peine d’y mettre le nez, en avala de suite une gorgée, en me disant : « À vous, mon sergent ! » Lorsque j’en eus goûté, je sentis, à mon estomac, un bien qu’il est plus facile de sentir que d’exprimer ; nous fûmes d’accord que cette trouvaille valait mieux que le reste et, comme il fallait la ménager, et que j’avais, dans ma carnassière, un petit vase en porcelaine de Chine que j’avais apporté de Moscou, nous décidâmes que ce serait la ration, toutes les fois que l’on voudrait boire[1].
Nous nous enfonçâmes dans le bois avec beaucoup de peine, et, au bout d’un quart d’heure de marche pénible, par suite de la quantité d’arbres tombés sur notre passage, nous arrivâmes sur un chemin large de cinq à six pieds, qui venait de gauche et qui, à notre grande satisfaction, se continuait sur notre droite, précisément dans la direction que nous devions prendre pour rejoindre la grand’route où l’armée devait avoir passé et qui, suivant nous, ne devait pas être éloignée de plus de deux à trois lieues.
Me trouvant plus à l’aise, je levai la tête, et, regardant Picart, je vis qu’il avait la figure ensanglantée. Le sang s’était formé en glaçons sur ses moustaches et sur sa barbe. Je lui dis qu’il était blessé à la tête. Il me répondit qu’il venait de s’en apercevoir au moment où son bonnet à poil s’était accroché à une branche, et qu’en le remettant, le sang avait coulé sur sa figure ; que, du reste, il n’avait rien de grave. Il me dit que ce n’était pas le coup de pistolet qui l’avait fait tomber, mais que, tenant la bride du cheval, au moment où il voyait venir l’autre Cosaque, il avait voulu se saisir de son arme pour en faire usage, mais
- ↑ Ce petit vase, je le conserve toujours. Il est chez moi, sous le globe d’une pendule, avec une petite croix en argent qui a été trouvée dans les caveaux de l’église Saint-Michel, ou sous les tombeaux des Empereurs (Note de l’auteur.)