savent ce qu’ils font ; cependant ils viennent se ranger à nos côtés. Nous avions encore les fusils de deux hommes qui nous avaient quittés le soir, et qui n’étaient pas revenus ; ensuite celui de Faloppa. Toutes ces armes étaient chargées. La poudre ne nous manquait pas. Un des soldats allemands avait une bouteille d’eau-de-vie dont il ne nous avait pas encore parlé, mais, comptant qu’il aurait peut-être besoin de nous, il nous la présenta. Cela nous fit du bien. L’autre me donna un morceau de pain.
Un soldat du train me dit : « Mon sergent, si nous mettions un de ces fusils entre les mains du paysan qui est là qui tremble près du poêle ? Pensez-vous qu’il ne pourrait pas faire son homme ? — C’est vrai, lui dis-je. — En avant, le paysan ! » répond le soldat. Le pauvre diable, ne sachant ce qu’on lui veut, se laisse conduire. On lui présente un fusil : il le regarde comme un imbécile, sans le prendre ; on le lui pose sur l’épaule : il demande pourquoi faire. Je lui dis que c’est pour tuer les Cosaques. À ce mot, il laisse tomber son arme. Un soldat la ramasse et, cette fois, la lui fait tenir de force en le menaçant, s’il ne tire pas sur les Cosaques, de lui passer sa baïonnette au travers du corps. Le paysan nous fait comprendre qu’il serait reconnu par les Russes pour être un paysan, et qu’ils le tueraient. Pendant ce colloque, d’autres cris se font entendre à l’autre extrémité de la chambre : ce sont les deux femmes qui pleurent ; Faloppa venait de rendre le dernier soupir !
Le soldat du train va prendre la capote de celui qui vient de mourir et force le paysan de s’en vêtir. En moins de deux minutes, il est armé au complet, car on lui a aussi passé un sabre et la giberne, ainsi qu’un bonnet de police sur la tête, de sorte qu’il ne se reconnaissait pas lui-même.
Cette scène s’était passée sans que les deux femmes, qui étaient auprès du mort à se désoler (probablement pour l’argent que je leur avais donné), se fussent aperçues de la transformation de leur homme.
Le bruit que nous entendions depuis un moment se fait entendre avec plus de force : je crois distinguer la voix du général Roguet ; effectivement c’était lui qui jurait, qui frappait sur tout le monde indistinctement, sur les officiers,