objets étalés sur le banc ; Jacob demanda à Picart combien il voulait de tout cela : « Dites-vous même ! » répondit Picart. Le juif dit un prix bien éloigné de ce que Picart voulait. Il lui dit : Non ! Jacob dit encore quelque chose de plus ; cette fois Picart, chez qui le vin commençait à produire son effet, regarda le juif d’un air goguenard et lui répondit en mettant un doigt sur le côté de son nez, et en fredonnant non pas les paroles, mais le chant du rabbin à la synagogue, le jour du Sabbat.
Les quatre juifs se mirent aussi à se balancer comme des Chinois et à chanter les versets. Grangier regarda Picart, pensant qu’il était fou, et moi, malgré ma triste position, je me pâmais de rire. Enfin, Picart cessa de chanter pour nous verser à boire. Pendant ce temps, les juifs causèrent ensemble du prix des objets ; Jacob en offrit un prix plus élevé, mais ce n’était pas encore ce que Picart voulait, de sorte qu’il se remit à recommencer son tintamarre, jusqu’au moment où il accorda le marché, à condition qu’on lui donnât de l’or. Jacob paya Picart en pièces d’or de Prusse ; il est probable qu’il était content de son marché, puisqu’il nous donna des noisettes et des oignons. Le vin nous avait monté à la tête et nous avait rendus comme fous, car, lorsque Picart eut reçu son argent, nous nous mîmes à faire, comme lui, le sabbat.
Le charivari aurait continué longtemps, si l’on n’eût frappé à la porte à coups de crosses de fusils. Jacob regarda par le trou, et aperçut plusieurs soldats qui lui dirent, en allemand, qu’ils avaient un billet de logement pour loger chez lui et que, s’il n’ouvrait pas de suite, la porte allait être enfoncée. Il ouvrit de suite. Nous prîmes le parti de nous retirer ; je dis adieu à Picart, avec promesse de nous revoir à Elbing, endroit sur lequel nous avions l’ordre de nous diriger.
Arrivés au logement, nous mangeâmes une soupe de riz ; ensuite je m’occupai de mes pieds, de ma chaussure, et, comme nous étions dans une chambre chaude et sur de la paille fraîche, je m’endormis.
Le lendemain 17, à cinq heures, la ville était déserte : les hommes qui, depuis deux mois, n’avaient pas couché sous un toit et qui, dans ce moment, se trouvaient couchés