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À minuit, le feu recommença dans les environs du Kremlin ; l’on parvint encore à le maîtriser. Mais le 16, à trois heures du matin, il recommença avec plus de violence, et continua.

Pendant cette nuit du 15 au 16, l’envie me prit, ainsi qu’à deux de mes amis, sous-officiers comme moi, de parcourir la ville, et de faire une visite au Kremlin dont on parlait tant… Nous nous mîmes en route : pour éclairer notre marche, nous n’avions pas besoin de flambeaux, mais comme nous avions envie de visiter les demeures et les caves des seigneurs moscovites, nous nous étions fait accompagner, chacun, par un homme de la compagnie, muni de bougies.

Mes camarades connaissaient déjà un peu le chemin, pour l’avoir fait deux fois, mais comme tout changeait à chaque instant, par suite de l’éboulement des rues, nous fûmes bientôt égarés. Après avoir marché quelque temps sans direction certaine, suivant comme le feu nous le permettait, nous rencontrâmes, fort heureusement, un juif qui s’arrachait la barbe et les cheveux en voyant brûler sa synagogue, temple dont il était le rabbin. Comme il parlait allemand, il nous conta ses peines, en nous disant que lui et d’autres de sa religion avaient mis, dans le temple, pour le sauver, tout ce qu’ils avaient de plus précieux, mais qu’à présent, tout était perdu. Nous cherchâmes à consoler l’enfant d’Israël, nous le prîmes par le bras, et nous lui dîmes de nous conduire au Kremlin.

Je ne puis me rappeler sans rire, que le juif, au milieu d’un pareil désastre, nous demanda si nous n’avions rien à vendre, ou à changer. Je pense que c’est par habitude qu’il nous fit cette question, car, pour le moment, il n’y avait pas de commerce possible.

Après avoir traverse plusieurs quartiers, dont une grande partie était en feu, et avoir remarqué beaucoup de belles rues encore intactes, nous arrivâmes sur une petite place un peu élevée, pas loin de la Moskowa, d’où le juif nous fit remarquer les tours du Kremlin que l’on distinguait comme en plein jour, à cause de la lueur des flammes ; nous nous arrêtâmes un instant dans ce quartier, pour visiter une cave d’où quelques lanciers de la Garde sortaient. Nous y prîmes du vin et du sucre, beaucoup de fruits confits ; nous