Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/86

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que c’était à son général : « Seraient-elles pour l’Empereur, qu’il m’en faut, lui dis-je, car je meurs de faim ! » Voyant qu’il ne pouvait se débarrasser de moi qu’en me donnant ce que je lui demandais, il m’en donna sept. Je lui donnai quinze francs et je le quittai. Il me rappela et m’en donna deux autres ; elles étaient loin d’être bien cuites, mais je n’y pris pas grande attention, j’en mangeai une et je mis les autres dans ma carnassière. Je comptais qu’avec cela, je pouvais vivre trois jours en mangeant, avec un morceau de viande de cheval, deux par jour.

Tout en marchant et en pensant à mes pommes de terre, je me trompai de chemin ; je ne m’en aperçus qu’aux cris et aux jurements que faisaient cinq hommes qui se battaient comme des chiens ; à côté d’eux était une cuisse de cheval qui faisait l’objet de leurs discussions. L’un de ces hommes, en me voyant, vint jusqu’à moi en me disant que lui et son camarade, tous deux soldats du train, avaient, avec d’autres, été tuer un cheval derrière le bois, et que, revenant avec leur part qu’ils portaient au bivac, ils avaient été attaqués par trois hommes d’un autre régiment qui voulaient la leur prendre, mais que, si je voulais les aider à la défendre, ils m’en donneraient ma part. À mon tour, craignant le même sort pour mes pommes de terre, je lui répondis que je ne pouvais m’arrêter, mais qu’ils n’avaient qu’à tenir bon un instant, que je leur enverrais quelqu’un pour les aider. Je poursuivis mon chemin.

Pas loin de là, je rencontrai deux hommes de notre régiment à qui je contai l’affaire ; ils marchèrent de ce côté. J’ai su, le lendemain, qu’ils n’avaient vu, en arrivant, qu’un homme mort qui venait d’être assommé avec un gros bâton de sapin qu’ils avaient trouvé à côté, et rouge de sang. Probablement que les trois agresseurs avaient profité du moment où l’autre implorait mon assistance pour se défaire de celui qui était resté seul.

À mon arrivée à l’endroit où était le régiment, plusieurs de mes camarades me demandèrent si je n’avais rien découvert ; je leur répondis que non. Ensuite, prenant ma place près du feu, je fis comme tous les jours ; je creusai ma place, c’est-à-dire mon lit de neige, et, comme nous n’avions pas de paille, j’étendis ma peau d’ours pour me coucher,