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LES MAITRES DE LA CRITIQUE

de graves problèmes. Ce n’est parfois qu’un mot jeté en passant ; mais ce mot donne à réfléchir. Le propre de Fénelon est de toucher à beaucoup de choses, sans dessein arrêté d’y insister ; il ébauche des jugements qu’il n’aura ni le loisir, ni le goût d’asseoir. Il y a déjà un aperçu du X e livre du Télémaque dans le premier Dialogue, quand il s’y inquiète de ce qui pourrait rendre les hommes meilleurs dans une république. « Il n’y faut pas, dit-il, d’exercices qui ne servent qu’à amuser, il ne faut que des arts utiles : les musiciens et les poètes ne doivent inspirer que la vertu. » L’inutilité suffît pour rendre coupable un citoyen ! Cela n’a F air de rien, mais n’en est pas moins hardi. 11 y a d’ailleurs tout proche de cela une charge contre la civilisation et la corruption, que Rousseau n’aurait pas désavouée. On a vu, non sans raison, dans Fénelon un précurseur inconscient du xvm e siècle et des grands changements qui s’y opérèrent. Dans le Télémaque, il est bien autrement agressif. Il ne songe pas, les réformateurs du xvn e et même du xvm e siècle ne s’imaginent pas que leurs idées puissent se traduire immédiatement en faits, et sont tous, à ce compte, des précurseurs inconscients ; mais on ne les comprendrait pas si l’on ne pensait pas que, dans leur âme, devait s’agiter quelque chose d’obscur, d’inavoué, d’imparfaitement réprimé. Une première secousse précède toujours les tremblements de terre : on ne se l’explique pas, elle passe inaperçue ; mais quand elle a été suivie d’autres secousses, on se la rappelle : Fénelon est de ceux qui imprimèrent une première secousse à l’ancien régime.

C’est donc un admirateur et un émule de Platon, un disciple de l’antiquité, un critique, un réformateur, que nous allons voir traiter de l’éloquence en général, et de l’éloquence sacrée en particulier, donner des leçons et des règles aux jeunes orateurs profanes ou sacrés, à l’aide