amours à rendez-vous réguliers, maladies cycliques
où le retour des caresses habituelles semblait empêcher
le temps de fleurir. Aussi j’avais vécu dans
un mécontentement de moi sans répit, si égal que
je ne pouvais pas me concevoir même partiellement
allégé de son oppression. Déjà, je voulais être attentif
à tout, identifier tout au long de ma vie tout
le temps qui s’écoule et l’être réel qu’au dedans de
moi-même je pressens que je suis. Après tant d’inutiles
efforts, je venais à peine d’entrer dans cet état
de grâce que la manie de penser faisait mine de
m’en arracher. Le bonheur que j’avais ressenti dans
la rue des Amidonniers avait comblé les désirs de
toute ma jeunesse ; et c’était pour le faire durer un
instant encore que je me baignais dans la présence
d’un objet où ma pensée allait me rencontrer moi-même
comme un obstacle insurmontable sur les
chemins des idées reçues.
Et puis je détournai mes yeux de cette enseigne
et je regardai la rue à travers la pluie fine qui tombait.
Rien n’était aussi attachant que de voir le tas
de pavés immobile, la pan de mur éclairé par la
lumière indigente du carrefour. Sans rien changer
en moi une image de ma mélancolie passait dans
l’immobilité de tous ces matériaux. On aurait dit
que le poids de la terre et son immensité suspecte
étaient dans mon cœur avant moi.
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