Le lieutenant Basile n’était pas mort. Il avait déserté
la veille de l’attaque. Ses camarades convinrent de le
sauver, ils le firent figurer sur la liste des morts et
habillèrent un soldat tué avec les vêtements que le
déserteur avait laissés dans sa cantine. Comme il
était le seul officier du bataillon à avoir pris ses
galons dans la cavalerie, ceux qui l’enterrèrent le
reconnurent à ses bottes, à ses boutons nickelés,
au soin qu’il avait pris, comme certains sauteurs
d’obstacles, de coudre ses croix à sa vareuse.
Ainsi s’expliquerait le fait que Bourroux l’avait
enterré. Or, mes recherches m’ont révélé que si le
lieutenant n’avait pas été tué, Bourroux l’avait été,
lui, le 9 mai. Un insoumis avait-il pris son nom,
avait-il hérité de son passé, de ses aventures, en
attendant d’hériter de Nathalie qui, on s’en souvient,
ne connaissait pas son parent ? Je me suis demandé
aussi si l’insoumis qui avait pris l’identité de Bourroux
n’était pas simplement le lieutenant Basile, les
mêmes raisons qu’il avait de s’embusquer chez nous
lui faisant prêter son personnage à un mort sans
famille qui le délivrerait de son passé une deuxième
fois. Je ne devais jamais savoir la vérité. Mon incertitude
ne pouvait que s’accroître. J’ai décidé de
raconter cette histoire le jour où j’ai appris que le
nom de Monsieur Sureau, que je donnais à mon
malade, cachait un homme qui s’appelait Blaise.
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