gagner la rue, mais j’avais dû aider ceux qui la hissaient
à écarter devant Nathalie. Et de mon impulsion
insolente je gardais un souvenir gênant autant
que du soin apporté par ma servante à ne pas m’imiter ;
un commencement d’angoisse que la nuit de
plus en plus opaque où nous avancions transformait
en une interrogation ; une question toujours la même
dont me laissaient porter tout le poids les visages
goguenards avec qui nous avions perdu à parlementer
les dernières minutes du jour : À quel usage cette
caisse était-elle destinée ? « C’est pour un mort ? »
avait demandé Nathalie en se signant. Et comme
je haussais les épaules en rajustant mon faux-col :
« Mais non ! c’est pour un fou » avait répondu un
des porteurs qui se découvrait malicieusement en me
regardant sous le nez.
Mon inquiétude me dépassait dans cette image de la
mort. Elle se tenait devant mes yeux, comme étrangère
à elle-même ; ou bien marchait à mes côtés. Son
ombre était plus grande qu’elle ; et la cherchait dans
cette nuit avec mes mains. J’aurais voulu frapper au
visage ces ouvriers de malheur.
Elle était d’une santé si délicate, la petite fille que
j’avais rencontrée à Southampton, un soir de pluie,
l’année précédente. C’est même sa fragilité qui
m’était apparue la première et j’avais eu peur de la
perdre avant de savoir que je l’aimais. À la sortie
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