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chaque objet autant de profondeur que dans mes prunelles et ma pensée était en eux comme au grand soleil de la chair la naissance des larmes.
Je regardais les magasins, les passants ; et, annonces ou visages, je lisais tout avec mes pensées et non avec mes yeux. Aux tableaux de ce coin de ville je demandais de réfléchir mon âme jusqu’au fond et, à eux tous, de fouiller à force d’images toute l’étendue de l’avenir auquel elle ouvrait la voie. Ainsi, examinant avec passion les étalages et les individus, je les rapprochais mentalement comme les figures d’un jeu de cartes étalés sur le tapis d’une devineresse. Chaque objet qui me frappait par sa nouveauté procurait à l’une de mes espérances un prolongement dans l’avenir ; et, de tous les points de l’horizon en mouvement, par mille ponts de lumière me venait toute une cavalcade de symboles où mon esprit trouvait autant de promesses ou de refus qu’il portait en lui de secrets désirs. C’est au cours de cette bizarre occupation que je fus extraordinairement frappé par la vue d’un mannequin de femme qui, privé de ses vêtements, gisait au fond d’une vitrine en attendant de jouer son rôle dans un étalage qui se montait. Un embarras de voitures avait immobilisé mon taxi, j’eus le temps d’examiner le magasin : assez petit, peint en noir, sans enseigne visible. Derrière la glace, il n’y avait