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la terreur en macédoine

Depuis longtemps déjà Joannès ne se contient qu’avec peine. Seul, sans armes au milieu des bandits qui mangent, boivent et commencent à mener grand bruit, il fait des efforts inouïs pour ne pas éclater, se ruer au milieu de la horde abominable, suivre l’impulsion du sang généreux qui bouillonne dans ses artères, et livrer l’impossible bataille qu’il se sent de force à engager.

En toute autre circonstance, il commettrait ce coup de folie ! Il essayerait d’entraîner ces robustes jeunes gens qui s’évertuent à brosser et à bouchonner les chevaux des brigands !

Mais il a maintenant charge d’âmes et il se contient encore, et à quel prix ! N’est-il pas l’unique protecteur de l’adorable créature qui se blottit, craintive, près de lui, pendant que l’Albanais rapace et féroce continue impassible son hideux marchandage ?

Et puis il veut, dans sa loyauté, espérer en un secours venu du dehors. Comment ! Prichtina est là, tout près… On aperçoit à deux lieues les dômes de ses minarets et les flocons de fumée noire qui s’échappent de la haute cheminée de la minoterie militaire… Il y a une civilisation dans ce chef-lieu de province gouverné par le vali Hatem-Pacha ! Pour appuyer cette civilisation, il y a six mille hommes de troupe, des gendarmes, des fusils, des canons, un général ancien élève de notre école de Saint-Cyr !

Un ordre, un seul mot, et une simple patrouille disperserait comme une bande de moineaux les sacripants de Marko !

Comme pour confirmer cet espoir, hélas ! démenti depuis si longtemps par les faits antérieurs, un galop rapide se fait entendre. Joannès, par une fenêtre,