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la terreur en macédoine

lancer les notes vibrantes du chant de Kossovo. Les mots lui arrivent indistincts, mais il reconnaît, avec l’accent de l’aimée, cette musique douloureuse et entraînante, cette fanfare de la souffrance et de la revanche !

Il ignore, par bonheur, que sa raison vient de sombrer. Il croit que c’est un appel, un cri d’angoisse, mais aussi d’espérance, et cela redouble son énergie.

« Oh ! chère bien-aimée !… te délivrer… venger nos morts et libérer la patrie !…

« Oui !… oh ! oui… sans retard et sans trêve ! »

On sait le reste, jusqu’au moment où il trouve le poignard, oublié dans l’herbe par ceux qui ramassèrent les armes de Nikol et emmenèrent son cheval.

Il reste ainsi longtemps abîmé dans une demi-somnolence, les jambes pendantes dans la rivière, endolori d’âme et de corps, pensant à peine. Il est environ dix heures du soir et la lune vient de se lever.

Un bruit de pas, quelques paroles chuchotées de l’autre côté de la rivière le font tressaillir.

« On vient !… qui ?… amis ?… ennemis ?… il faut savoir. »

Il retiré doucement ses jambes de l’eau et s’avance en rampant, le poignard aux dents. Répercutés par les eaux, les sons lui arrivent avec une singulière netteté. Son nom est prononcé, avec des intonations apitoyées et affectueuses.

« Pauvre Joannès !… oh !… c’est la fin… le reverrons-nous jamais… Oh ! pauvre Joannès… »

Et une autre voix reprend :

« Allons de l’avant !… Il faut suivre la piste… Joannès est le chef… nous nous sommes donnés à lui… sachons où il est… traversons la rivière…