Page:Bouton - Profils révolutionnaires par un crayon rouge, 1848-1849.djvu/98

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Pasteur, ne suis-je pas une brebis captive ?
N’est-ce pas à travers les barreaux que m’arrive
Le rayon du soleil ou le feu de l’éclair ;
Ce mur n’est-il pas là pour me former l’espace,
Et mon regard enfin vient il pas, quoi qu’il fasse,
Toujours se briser sur du fer ?

Ou bien avez vous cru que ma voix s’est unie
À l’incrédule voix du siècle qui renie,
Le nom de Jéhovah dans ses œuvres écrit ;
Que, regardant le ciel, j’ai dit aussi : Qu’importe !
Et que je n’ouvre pas à qui frappe à ma porte
En invoquant le nom du Christ ?

Détrompez-vous alors : des temples solitaires
L’ombre souvent me couvre ; à la foi de mes pères
Non, non, je n’ai pas dit un sacrilège adieu ;
De cette foi la croix est encore l’emblème,
Et je porte à mon front le signe du baptême
Qui me fit enfant du vrai Dieu,

Jamais encor, jamais le blasphème superbe
Ou le sourire amer, pour insulter au Verbe,
De mon cœur de croyant aux lèvres ne monta,
Car nous prions tous deux sur les mêmes symboles.
Votre Dieu, c’est le mien : le Dieu des paraboles,
De la crèche et du Golgotha.

Celui qui sut trouver, pour éteindre la guerre,
Entre ces deux grands mots de richesse et misère,
La loi du sacrifice et de la charité ;
Le Dieu du pharisien et du pauvre Lazare,
Le Dieu du mendiant, comme du riche avare,
C’est le Dieu de l’égalité.

Que pour le prisonnier parfois le ciel est sombre !
Comme il voit dans lui-même et sur les murs plus d’ombre ;
Et comme alors son sein se lève longuement !
Une larme s’échappe à son œil qui se baisse,
Son front se penche, et puis sur son cœur qui s’affaisse,
Pèse le découragement…

Oh ! venez donc, venez lorsque ce cœur succombe,
Qu’il est comme un cadavre endormi dans la tombe,
Quand sur lui la tristesse a jeté son linceul,
Approchez, approchez, au nom du divin maître,
Et comme à sa parole, à la vôtre peut-être,
La mort sortira du cercueil !


On reconnaît dans le sentiment religieux qui anime ces strophes l’influence des souvenirs de la vieille Bretagne, car ce n’est plus guère que là qu’on est patriote et chrétien à la fois.

Cette poésie a un cachet particulier ; elle ne sent pas l’École moderne. Elle est polie et rude, elle souffre, elle est humaine, elle se lie à notre nature, elle prie comme on prie ici-bas. C’est bien senti, c’est bien touché : il y a du cœur là-dessous. Je conseillerais à ce poète de faire diversion à nos tristes luttes politiques en publiant un petit volume. — Parfois sa poésie est moqueuse et incisive. Il mord, non pas en riant, comme la vieille satyre, mais avec le plus grand sérieux. Alors c’est du pamphlet.


Savinien Lapointe. — Les poèmes de Savinien Lapointe respirent une grande énergie ; mais sa plainte nous déchire, nous fait saigner. Il peint une infirmité et nous serre le cœur ; il pleure, et ses larmes sont brûlantes ; sa rime est dantesque. Il vous brise, il vous fait courber la tête sous le poids de vos souffrances. Il vous parle du prolétaire en homme qui sent son mal.

Il y a, dans une Voix d’en bas, des peintures de misères sociales, et presque toujours son vers est dramatique ; c’est une scie qui crie ; il vous supplie, il ne fait pas bon l’entendre. Il a les beautés d’Auguste Barbier ; mais il lui manque, comme à son maître, de l’ampleur, une large nature, de l’élévation, de la sensibilité vraie. — Voici un tableau que nous rencontrons tous les jours au coin des rues. Ce sont les petits vagabonds qui se chauffent à un feu de rencontre.


Les Petits Vagabonds.


Qu’aperçoit-on là bas dans l’ombre ? une lueur
S’élève lourdement du milieu de la place :
Ah ! c’est le feu qui prend, n’en ayons pas frayeur,
Aux menus chalumeaux d’une pauvre paillasse ;
De petits vagabonds déguenillés et noirs,
Debouts, couchés, assis sur le bord des trottoirs,
Regardent tristement les rouges étincelles
Que la bise des nuits emporte sur ses ailes :
Et de face, et de dos, autour de ce brasier,
Grignotent les débris d’un pain dur et grossier.

Lapointe n’est pas révolutionnaire, dans le sens tapageur. Il a même nié la puissance des barricades.

« Non ! l’avenir n’est plus sur une barricade ! »

disait-il devant la Royauté. Il jette un regard de malédiction sur le présent qu’il maudit et ses yeux n’entrevoient point l’avenir. La venue de la République et le cri social des Travailleurs ont exalté son talent : il s’est tourné vers les idées sociales, et suit de loin le mouvement. Il ne se passionne pas assez ; un vrai poète populaire doit jeter avec insouciance sa tête dans les révolutions.


Paris, 29 novembre 1849.