Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/144

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est à elle seule, au moins en droit, toute la science du réel. Car, dans l’état actuel de nos connaissances, la science n’est pas une, mais multiple. La science, conçue comme embrassant toutes les sciences, n’est qu’une abstraction. Ce qui nous est donné, ce sont des sciences, dont chacune, en même temps qu’elle tient aux autres, a sa physionomie propre. À mesure que de l’étude des mouvements des corps célestes, réalité la plus extérieure que nous connaissions, on s’élève vers l’étude de la vie et de la pensée, les postulats requis sont plus nombreux et plus impénétrables.

Déjà la physique, en tenant le travail pour supérieur à la chaleur, fait ouvertement appel à la notion de qualité. La chimie repose sur ce postulat, qu’il existe et se conserve des éléments de différentes espèces. L’acte réflexe de la biologie n’est pas une simple réaction mécanique, puisqu’il a pour propriété d’assurer la conservation, l’évolution et la reproduction d’une organisation déterminée. La réaction psychique est quelque chose de plus, puisqu’elle tend à procurer à un individu la science des choses, c’est-à-dire la connaissance des lois et par là une faculté indéfinie de les utiliser pour des fins posées par lui. Enfin, en sociologie, l’action du milieu ne suffit pas pour expliquer les phénomènes ; il y faut joindre l’homme, avec sa faculté de sympathie pour les autres hommes et ses idées de bonheur, de progrès, de justice et d’harmonie. Ainsi les objets des différentes sciences ne se laissent pas entièrement pénétrer par les mathématiques, et les lois fondamentales de chaque science nous apparaissent comme les compromis les moins défectueux que l’esprit ait pu trouver pour rapprocher les mathématiques de l’expérience. Il faut d’ailleurs distinguer entre les [140]