Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/147

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aujourd’hui qu’il ne l’était, par exemple, dans le dualisme cartésien. Là où les choses étaient réduites à de la matière et à de la pensée, supposer l’homme libre et sa liberté efficace, c’était admettre que l’esprit meut la matière. Mais cela était incompréhensible, soit que l’on supposât que l’esprit crée de la force motrice, soit que l’on admît que ce qui soi-même n’est pas mouvement peut directement déterminer un mouvement. Mais la science n’établit nullement la réalité de ce dualisme. Elle nous montre au contraire une hiérarchie de sciences, une hiérarchie de lois, que nous pouvons bien rapprocher les unes des autres, mais non fondre en une seule science et en une loi unique. De plus elle nous montre, avec l’hétérogénéité relative des lois, leur influence mutuelle. Les lois physiques s’imposent aux êtres vivants, et les lois biologiques viennent mêler leur action à celle des lois physiques. En présence de ces résultats, nous nous demandons si la pensée et le mouvement, avec l’abîme qui les sépare, ne seraient pas notre manière de nous représenter clairement les choses plutôt que leur réelle manière d’être. Le mouvement en soi n’est, semble-t-il, qu’une abstraction, aussi bien que la pensée en soi. Ce qui existe, ce sont des êtres dont la nature est intermédiaire entre la pensée et le mouvement. Ces êtres forment une hiérarchie, et l’action circule entre eux de haut en bas et de bas en haut. L’esprit ne meut la matière ni immédiatement ni même médiatement. Mais il n’y a pas de matière brute, et ce qui fait l’être de la matière est en communication avec ce qui fait l’être de l’esprit. Ce que nous appelons les lois de la nature est l’ensemble des méthodes que nous avons trouvées pour assimiler les choses à notre intelligence et les plier à [143] l’