Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/54

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fût-il admis, il ne nous donnerait que médiocrement satisfaction, parce qu’il laisserait hors de nos prises le monde du mouvement dans l’espace, c’est-à-dire, en définitive, le monde où nous vivons et sur lequel il nous importe tout d’abord de pouvoir agir.

La liaison mécanique, il faut le reconnaître, est la forme la plus parfaite du déterminisme, parce qu’elle représente la coïncidence de la réalité expérimentale et des mathématiques. Mais la question est de savoir si ce déterminisme doit être transporté, de l’explication des phénomènes qu’il régit, aux êtres mêmes dont nous cherchons à systématiser les manifestations. Quand nous nous demandons si le mode d’action des corps les uns sur les autres compromet notre liberté, nous posons mal la question. Les corps n’agissent pas les uns sur les autres. C’est par abstraction et construction artificielle que nous isolons un monde d’atomes et de forces mécaniques et le considérons comme se suffisant à lui-même. Ce monde, dans la réalité, ne se suffit pas. Non seulement les atomes et la causalité mécanique ne se conçoivent pas sans un esprit qui les pense, mais les mouvements mécaniques ne peuvent être isolés des phénomènes physiques et organiques existant dans la nature. Savons-nous si les lois mécaniques sont cause ou conséquence des autres lois ? Et, si par hasard elles étaient conséquence, pourrions-nous affirmer qu’elles sont rigoureuses et qu’elles sont immuables ? S’il y a des actions dans la nature, ces actions sont tout autre chose que la prétendue action d’un corps sur un autre, laquelle n’est qu’une relation numérique. Et, comme rien ne prouve que le support réel des phénomènes dits mécaniques soit lui-même mécanique et soumis au déterminisme, il n’y a point de chaîne à rompre pour