Page:Boutroux - De la contingence des lois de la nature.djvu/172

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effets qui dérouteront le calcul. L’hérédité, l’instinct, le caractère, l’habitude, ne sont plus des lois absolument fatales, du moment où ils ne sont, au fond, que la réaction des actes sur la spontanéité. La même volonté qui s’est créé une habitude peut la modifier pour s’élever plus haut, et aussi pour redescendre ; elle peut maintenir à ses habitudes le caractère actif qui en fait le marche-pied d’un perfectionnement supérieur, comme aussi s’oublier dans des habitudes passives qui la paralysent de plus en plus.

L’uniformité de succession qui caractérise les lois psychologiques n’est donc qu’une phase de l’activité humaine. L’âme peut, par un surcroît d’énergie, perfectionner ses habitudes, son caractère et sa nature la plus intime. Mais elle se duperait elle-même si, pour accroître ainsi sa liberté d’action, elle prenait uniquement son point d’appui dans la nature humaine proprement dite ou dans la nature des êtres inférieurs, si elle n’avait d’autre levier que l’amour de soi ou l’adaptation aux forces inintelligentes. L’homme qui ne poursuit que son intérêt est esclave de sa nature propre. L’homme dont la volonté n’est que l’expression des influences extérieures est esclave des choses. C’est en remontant à la source de la liberté que l’homme peut accroître la sienne. Or cette source est la perfection, fin pratique qui réclame un agent libre. C’est donc en prenant en définitive son point d’appui au-dessus de soi, dans l’idée même de la fin pour laquelle il est né, que l’homme pourra dominer, et sa propre nature et le monde qu’il habite.

Mais cette fin de la nature humaine n’est pas une idée pure et simple, dont l’homme n’ait sous les yeux aucune expression visible. Elle trouve un commencement de réalisation dans les sociétés organisées, où les lois, les mœurs, la conscience publique mettent la vertu en honneur et flétrissent l’abaissement moral. C’est donc en vivant pour la