Page:Boutroux - De la contingence des lois de la nature.djvu/24

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tifs ou régulateurs de la connaissance des choses données, toute nécessité en deviendrait-elle illusoire ?

À coup sûr, il ne pourrait plus être question d’une nécessité radicale, comme régnant dans le monde donné, puisque, lors même que certaines synthèses impliquées dans l’expérience seraient nécessaires en soi, l’esprit, dans le cas dont il s’agit, serait hors d’état de s’en assurer. Toutefois la combinaison de l’expérience et de l’analyse pourrait encore manifester une certaine sorte de nécessité, la seule, à vrai dire, que poursuivent d’ordinaire les sciences positives. On conçoit, en effet, que les synthèses particulières empiriquement données puissent être ramenées à des synthèses plus générales, celles-ci à des synthèses plus générales encore, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on arrive à un nombre plus ou moins restreint de synthèses pratiquement irréductibles. L’idéal serait de tout ramener à une seule synthèse, loi suprême où seraient contenues, comme cas particuliers, toutes les lois de l’univers. Sans doute, ces formules générales, fondées en définitive sur l’expérience, en conserveraient le caractère, qui est de faire connaître ce qui est, non ce qui ne peut pas ne pas être. Rien ne pourrait prouver qu’elles fussent nécessaires en soi. Mais elles établiraient entre tous les faits particuliers, comme tels, une relation nécessaire. Le moindre changement de détail impliquerait le bouleversement de l’univers. On peut donc admettre la possibilité d’une nécessité de fait à côté de la nécessité de droit. Celle-ci existe lorsque la synthèse que développe l’analyse est posée à priori par l’esprit et unit un effet à une cause. Lorsque cette synthèse, sans être connue à priori, est impliquée dans un ensemble de faits connus, et qu’elle est constamment confirmée par l’expérience, elle manifeste, sinon la nécessité du tout, du moins la nécessité de chaque partie, à supposer que les autres soient réalisées.