Page:Boutroux - De l’idee de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines.djvu/86

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En dernière analyse, notre raison de croire au mécanisme universel, c’est, ainsi que l’a vu Descartes, notre confiance dans la vérité des idées claires et dans leur rapport à la réalité. Nous prétendons que notre intelligence, dans son usage suprême, soit la mesure des choses ; et en outre nous considérons que, si tout est mouvement, comme nous pouvons produire le mouvement, nous avons pouvoir sur tout. Mais Descartes a bien vu aussi que, pour nous persuader de la légitimité de ce point de vue, il nous faut recourir à un Dieu puissant et bienveillant, qui a adapté les choses à nos moyens de connaître et d’agir.

Et ainsi, à mesure que du phénomène nous voulons nous élever à l’être, nous sommes obligés de faire une place au sentiment : il a une part dans l’affirmation du mécanisme universel. Mais le sentiment nous fournit aussi des données contraires au mécanisme. Car, si la conscience n’atteint pas les forces physico-chimiques, déjà elle saisit la vie. Nous avons conscience de vivre. Cette conscience est purement illusoire, si le mécanisme est le vrai, parce que pour le mécanisme les éléments seuls existent et leur rapprochement n’est rien. Or la vie est la synthèse d’une très riche multiplicité. Croire sur ce point au témoignage de la conscience, c’est douter de la valeur absolue du mécanisme.

Mais, dira-t-on, comment concevoir le rapport de la vie avec les phénomènes physico-chimiques ? Ou elle rompra la chaîne des mouvements, ou elle se verra reléguée dans les intermondes. On n’échappe, semble-t-il, au mécanisme cartésien, que pour aboutir au miracle ou à l’harmonie préétablie. Mais cette difficulté sur la manière de nous représenter la vie et sa relation avec