Page:Boutroux - La Monadologie.djvu/152

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une Monade puisse[1] être altérée, ou changée dans son intérieur par quelque autre créature ; puisqu’on n’y saurait rien transposer, ni concevoir en elle aucun mouvement interne, qui puisse être excité, dirigé, augmenté ou diminué là-dedans ; comme cela se peut dans les composés, où il y a des changements entre les parties. Les Monades n’ont point de fenêtres, par lesquelles quelque chose y puisse entrer ou sortir. Les accidents ne sauraient se détacher, ni se promener hors des substances, comme faisaient autrefois les espèces sensibles des Scolastiques[2]. Ainsi ni substance, ni accident peut[3] entrer de dehors dans une Monade.

8. Cependant il faut que les Monades aient quelques qualités, autrement ce ne seraient pas même des êtres[4]. Et si les substances simples ne différaient

  1. Quonnodo… queat, dirait-on en latin.
  2. Selon saint Thomas, il n’appartient qu’à Dieu de connaître les choses par elles-mêmes. Étant la cause première efficiente de toutes choses, Dieu contient éminemment en lui toutes leurs formes. Quant à l’âme humaine, elle connaît les accidents des choses par des espèces (ou images) sensibles ou particulières, et leur essence par des espèces intelligibles ou générales. Les espèces sensibles ne sont pas précisément, pour saint Thomas, comme jadis les εῖδωλα de Démocrite, des effluves des corps eux-mêmes, voyageant de ceux-ci jusqu’à l’âme. Ce sont des êtres immatériels représentatifs des formes accidentelles qui sont dans les corps, c’est-à-dire des êtres distincts de ces formes, en même temps qu’ayant avec elles une certaine conformité. L’objet de cette théorie était d’expliquer le rapport de l’esprit aux choses extérieures, sans méconnaître la loi suivant laquelle l’intelligence ne peut être déterminée à connaître, que par un principe qui lui soit inhérent. Au reste, il régnait sur ce point, ou un certain vague, ou une certaine diversité parmi les Scolastiques. Saint Bonaventure disait que « rien de sensible n’agit sur la sensibilité sans l’intermédiaire de la ressemblance, qui sort de l’objet comme la fleur de sa tige. » Et les Scotistes considéraient les espèces sensibles comme produites par l’objet seul, sans le concours du sujet.
  3. Sic, dans les trois manuscrits.
  4. La quantité redouble et multiplie l’être, mais ne le constitue à aucun degré. Elle le suppose. Car l’être consiste dans quelque