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masse ou portion de la matière propre ou affectée à elle pour toujours, et qu’elle possède par conséquent d’autres vivants inférieurs, destinés toujours à son service. Car tous les corps sont dans un flux perpétuel comme des rivières[1] ; et des parties y entrent et en en sortent continuellement.

72. Ainsi l’âme ne change de corps que peu à peu et par degrés, de sorte qu’elle n’est jamais dépouillée tout d’un coup de tous ses organes et il y a souvent métamorphose dans les animaux, mais jamais Métempsychose ni transmigration des Âmes[2] : il n’y a pas non plus des Âmes tout à fait séparées, ni de Génies sans corps[3]. Dieu seul en est détaché entièrement (§ 90, 124).

73. C’est ce qui fait aussi qu’il n’y a jamais ni génération entière, ni mort parfaite prise à la rigueur, consistant dans la séparation de l’âme. Et ce que nous appelons Générations sont des développements et des accroissements ; comme ce que nous appelons Morts, sont des enveloppements et des diminutions.

74. Les philosophes ont été fort embarrassés sur l’origine des formes, Entéléchies, ou Âmes ; mais aujourd’hui lorsqu’on s’est aperçu, par des recherches exactes

  1. Cf. κατὰ… Ἡράκλειτον… οἷον ῥεύματα κινεῖσθαι τὰ πάντα (Platon, Théét. 160. D) ; Ἡράκλειτος… ποταμοῦ ῥοῇ ἀπεικάζων τὰ ὄντα (Plat., ibid., 402. A) ; et, plus précisément encore : ταῖς Ἡρακλειτείοις δόξαις, ὡς ἀπάντων τῶν αἰσθητῶν ἀεὶ ῥεόντων (Arist., Met., I, 6).
  2. Causæ efficientes pendent a finalibus, ou, en d’autres termes, les corps dépendent des âmes. Le changement du corps n’entraîne donc pas le changement de l’âme, mais c’est au contraire le développement de l’âme ou monade centrale et dominante, toujours identique dans son fond, qui détermine le changement du corps.
  3. Une âme sans corps serait une âme absolument exempte de perfection confuse ; et, comme la perception embrasse tout ou n’existe pas (Voy. sup., § 60), comme d’ailleurs la perception est essentielle à l’âme, une âme sans corps posséderait la perception distincte de tous les détails de l’univers. Or une telle âme ne se distinguerait pas de Dieu, serait Dieu lui-même.