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cité de ce qu’on aime. C’est ce qui fait travailler les personnes sages et vertueuses à tout ce qui paraît conforme à la volonté divine présomptive, ou antécédente : et se contenter cependant de ce que Dieu fait arriver effectivement par sa volonté secrète, conséquente et décisive[1] ; en reconnaissant que si nous pouvions en-

  1. Saint Thomas divisait (De veritate, q., XXIII, a, 8 c. S. Th. q. XIX, a. 6 ad 1) la volonté de bon plaisir en antécédente et conséquente. « Cette distinction, disait-il, n’est pas fondée sur la votonté divine elle-même, car, en elle, il n’y a ni avant ni après ; mais elle est fondée sur les objets de son vouloir. Une chose peut être considérée, soit en elle-même, absolument, soit avec telle circonstance particulière, ce qui forme une considération subséquente. Par exemple, il est bon en soi que l’homme vive et c’est une chose mauvaise qu’il périsse, à considérer la chose absolument ; mais si l’on ajoute, au sujet d’un homme en particulier, que c’est un homicide ou que sa vie est un danger pour une foule de personnes, dans ce cas il sera bon que cet homme périsse, et mauvais qu’il conserve plus longtemps la vie. C’est pourquoi on peut dire que le juge veut d’une volonté antécédente que tout homme conserve la vie, mais il veut d’une volonté conséquente que l’homicide soit pendu. Là est l’origine de la doctrine de Leibnitz mais ici encore Leibnitz transforme ce qu’il emprunte (V. Théodicée, I, § 22). La volonté antécédente, dit-il, regarde chaque bien à part en tant que bien. Il y a une infinité de volontés antécédentes diverses, comme, dans un mobile composé d’un grand nombres de parties, il y a un grand nombre de tendances diverses. Or de même que, dans le mobile, du conflit de ces tendances résulte le mouvement composé, qui donne satisfaction à toutes autant qu’il est possible, de même, du conflit des volontés antécédentes résulte une volonté conséquente et totale qui va à la plus grande somme de bien réalisable. Et ainsi Dieu veut antécédemment le bien, et conséquemment le meilleur. C’est cette volonté seule qui est décisive. Elle est secrète, c’est-à-dire plus intérieure encore que les volontés antécédentes, parce qu’elle se forme dans cette région la plus reculée de la volonté divine, ou les volontés particulières sont comparées entre elles au point de vue de l’harmonie. Nous retrouvons ici, appliquée à la volonté même de Dieu, cette théorie du possible et de l’existence, qui est l’une des plus importantes de la philosophie de Leibnitz. — Cependant la volonté, même conséquente, de Dieu ne donne pas immédiatement aux choses toute la perfection qu’elles comportent. Dieu a en quelque sorte réservé à l’action même des créatures une part dans l’avènement de son règne. Et c’est pourquoi celles-ci ne doivent pas perdre de vue cette volonté antécédente de Dieu, qui allait exclusivement au bien sans faire encore aucune place au mal. S’il doit être à tout jamais impossible de réaliser entièrement une telle volonté, qui n’irait à rien moins qu’à recréer Dieu lui-même, il est du moins possible de se rapprocher de plus en plus de cet idéale et Dieu tend, dans le développement du monde, à mettre sa volonté conséquente dans une harmonie toujours plus étroite avec sa volonté antécédente. L’homme sage a donc confiance ; et, en disant Fiat voluntas tua, il ne cède pas à la force, il sait qu’il travaille l’avènement du royaume de Dieu.