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phie de bien vivre. Ce même orgueil de l’homme, se dressant contre Dieu et au-dessus de Dieu, était, selon Jansénius, l’âme même de la théologie moliniste. D’un autre côté, Jansénius ne pouvait accorder aux protestants que Dieu lui-même nécessite l’homme au pécher ni même à Baïus qu’il peut y avoir péché là où il n’y a pas volonté. Il résolut, pour éviter l’un et l’autre écueil, de suivre rigoureusement saint Augustin. Ayant passé vingt ans à étudier ses écrits, qu’il lut jusqu’à trente fois, il exposa sa doctrine méthodiquement dans un vaste ouvrage nommé Augustinus, qu’il soumit d’ailleurs respectueusement au jugement du Saint-Siège. Il fait consister la doctrine augustinienne dans l’histoire religieuse de l’humanité. Il expose, en ce sens, l’état de l’homme avant la faute, les suites de la faute, la réparation par la grâce de Jésus-Christ, et la prédestination.

Selon lui, l’homme, avant la faute, était tel que les molinistes se représentent l’homme actuel, c’est-à-dire l’arbitre de sa sainteté et de son bonheur. L’effet de la faute n’a pas été simplement de dépouiller l’homme des dons surnaturels de la grâce, pour le laisser nu, à l’état de pure nature, intacte ou seulement blessée. L’état de pure nature n’est qu’une invention de théologiens imbus de l’esprit du pélagianisme. L’homme est essentiellement une créature raisonnable. Or il suit de la notion même de la créature raisonnable qu’elle demande à être heureuse, c’est-à-dire à aimer Dieu, et qu’elle doit posséder le moyen de parvenir à cette fin, c’est-à-dire la grâce divine, sans laquelle l’amour de Dieu est impossible. La nature raisonnable implique donc,