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Page:Boutroux - Pascal.djvu/127

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faire pour briser un pouvoir qu’il juge fatal à l’Église. Pour être plus libre, il garde l’anonyme. Il va se cacher, sous le pseudonyme de M. de Mons, dans l’auberge du Roi David, rue des Poirées, derrière la Sorbonne et vis-à-vis le collège des jésuites. Un jour il risque d’être pris. Mais son beau-frère M. Périer réussit à éconduire le bon Père, sans que celui-ci aperçoive les exemplaires de la récente Provinciale, qui sèchent sur le lit ; et tous deux en font des gorges chaudes. Il s’applique à sa tâche de toutes ses forces. Il lit deux fois en entier la Petite théologie morale d’Escobar. Il examine attentivement tous les textes que lui fournissent ses amis. Il travaille de plus en plus ses Lettres. Il y apporte une contention d’esprit, un soin inimaginables. Il reste vingt jours entiers sur une même lettre. Il en est qu’il recommence sept et huit fois. Il recommença, dit-on, treize fois la dix-huitième. C’est qu’il sait combien le vrai, à lui seul, sans la force de l’expression, est impuissant à secouer l’indifférence et la frivolité des hommes. Il veut mettre en œuvre tout l’art dont il est capable. Et il sait que l’art n’est parfait que s’il réussit à se rendre invisible. L’art ne s’achève que dans le naturel, si difficile à notre nature faussée.

C’est vraiment une comédie que Pascal imagine. Montalte, désireux de s’instruire sur la morale des jésuites, consulte un bon casuiste de la société, une de ses anciennes connaissances, qu’il renouvelle exprès. Il en reçoit le meilleur accueil. Ce bon Père, raconte-t-il, me fit d’abord mille caresses, car il m’aime toujours ; et, insensiblement, nous entrâmes en matière. Montalte trouve incroyable que les