Page:Boutroux - Pascal.djvu/51

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ment et moins glorieusement, nous voyons plus loin qu’eux. Ils ont eu une science proportionnée au nombre de faits qu’ils possédaient. Sur le sujet du vide, par exemple, ils avaient raison de dire que la nature n’en souffre point, puisque toutes leurs expériences avaient cette signification. Juger autrement eût été substituer une vue de l’esprit à la réalité telle qu’elle leur était donnée.

D’autre part, le progrès que célèbre Pascal est strictement borné au domaine scientifique. Il ne touche pas la vie morale. Dans l’ordre intellectuel même, il n’a pas ce caractère de loi naturelle et nécessaire, que lui attribueront Turgot et Condorcet. Il ne ressemble en rien à une évolution qui modifierait la nature de nos facultés. Il ne s’applique qu’aux connaissances ; et, si celles-ci s’additionnent, c’est grâce aux inventions et au travail des hommes, non par l’effet d’un mouvement fatal.

C’est ainsi que, dans les années 1646 et suivantes, nous voyons Pascal adonné à des recherches de physique et de philosophie. Le ton de ses écrits, sa correspondance ne laissent aucun doute sur sa disposition : en son âme subsiste l’attache aux sciences humaines. Or c’est au commencement de cette même année 1646 qu’il s’était converti à ce christianisme austère, qui n’admet nul partage entre le monde et Dieu, et qui condamne avec une sévérité particulière la concupiscence de l’esprit, c’est-à-dire la curiosité scientifique. Et à ne considérer que sa vie religieuse, pendant cette période, rien ne trahit un relâchement ou un changement quelconque. Quel était donc, dans ce temps, l’état de son âme ?