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Page:Boutroux - Questions de morale et d’éducation.djvu/34

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avant-propos

dre à en manger, en le privant de toute autre nourriture[1].

Voilà ce qu’on appelle revenir à la nature. En réalité, entre l’enfant et le but à atteindre, on interpose un ensemble d’artifices auxquels on tient parce qu’on y déploie de l’habileté et qu’on y prend conscience de son rôle d’éducateur.

L’emploi de ces artifices est illégitime. On n’a pas le droit de tromper un enfant plus qu’un homme ; il est mal de lui faire croire qu’il veut de lui-même ce qu’en réalité on lui suggère. Dût votre ruse n’être jamais découverte, vous auriez péché en faisant servir la vérité par le mensonge. Mais comme il y a mille chances pour qu’elle le soit, il arrive que, sous prétexte d’enseigner à l’enfant la grammaire ou la géographie, vous lui corrompez l’âme.

Ces savantes méthodes sont loin d’ailleurs d’être aussi efficaces ou nécessaires qu’on se l’imagine.

Si ingénieuses qu’on les suppose, elles arrêtent l’attention et l’intérêt de l’enfant à un objet intermédiaire, et l’empêchent de s’attacher à la fin qu’il doit poursuivre. Ému et justement indigné par sa déconvenue, Émile est peu en état de recevoir la leçon d’économie politique que lui ménage son précepteur. Habitué à ne voir dans le travail qu’un jeu ou une matière à satisfactions d’amour-propre, l’enfant restera étranger aux objets de ses études, et se hâtera de secouer, au sortir de l’école, le peu de con-

  1. Pinloche, La Réforme de l’éducation en Allemagne au dix-huitième siècle, Basedow et le Philanthropinisme, p. 219 sqq.