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Arrachée maintenant à sa torpeur, vivement Louise l’interrompit :

— Oh ! mais ce n’est pas de cela que je voulais parler. Depuis… depuis l’affreux malheur, j’ai bien compris que c’est la ruine et je ne m’en suis pas beaucoup affligée. Ce qui me déchire, voyez-vous, plus encore même que la douleur de l’avoir perdu, c’est qu’il m’ait quittée ainsi, volontairement… c’est qu’il n’ait pas pensé à moi, au chagrin qu’il me cau­serait… c’est qu’il m’ait abandonnée, qu’il m’ait laissée seule au monde. Il m’aimait bien pourtant et il savait bien que je l’aimais. Et ce serait par crainte de vivre pauvre qu’il s’est… qu’il a fait cette horrible chose ? Mais, mon cousin, j’aurais travaillé auprès de lui… et puis je l’aurais consolé. L’argent, mon Dieu, ce n’est pas tout dans la vie… Et parce qu’il n’en avait plus, il m’a abandonnée… il m’a quittée volontairement…

Ses dernières paroles se brisèrent dans un sanglot, secouant le corps menu depuis la nuque jusqu’aux talons. La large face colorée de Me  Sigebert tourna au pourpre. Du mouchoir dont énergiquement tout à l’heure il s’épongeait, avec bruit il se moucha.

— Volontairement, répéta-t-il… à savoir. Il est tristement vrai que votre pauvre père s’est donné la mort. Mais était-ce bien un acte prémédité ? Violemment il toussa. Et elle, un rayon passant dans ses prunelles voilées de pleurs :

— Vous pensez, mon cousin ?… Vous pensez que ce serait dans une minute d’égarement ?… Oh ! c’est mal à dire, mais j’y trouverais une consolation. Derechef, le notaire chassa son enrouement.

— Mais c’est évident, c’est certain. Voyons, ma chère enfant, pouvez-vous admettre que votre père, qui Vous chérissait, eût froidement envisagé la perspective de vous laisser seule au monde en effet, avec