Page:Boy - Histoires désobligeantes, Crès, 1914.djvu/18

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les plus méritoires. Je ne finirais pas si je vous racontais les petits soins, les attentions délicates, les déclarations enflammées dont je suis le constant objet, pour ne rien dire de plusieurs immolations héroïques indignement et abominablement payées par mes plus noires manigances. Que voulez-vous ? Je suis un enragé volontaire.

Vous objecterez peut-être qu’on a essayé de me faire crever de faim depuis trente ans, qu’on a fait mourir, par ce moyen, deux de mes enfants. N’ayant pas de cœur, j’en ai pris mon parti avec une admirable désinvolture. Mais étant, tout de même, un homme juste, je peux me mettre à la place des bonnes âmes à qui je dois tout cela. Leurs intentions étaient si droites et si pures !

On a cru bêtement, il est vrai, que le silence me tuerait. C’était vouloir empoisonner un crocodile avec du bouillon de crapaud. Je n’en suis devenu que plus fort et mieux endenté. Sans le vouloir, on a été ainsi mes bienfaiteurs. Le silence, la misère, les chagrins affreux, voilà ce qu’il me fallait pour devenir le monstre invincible.

Vos dernières paroles prouvent que vous avez compris cela. Pourquoi donc alors me parler d’inanition et de désert ? Je ne fus jamais autant visité ni si florissant. Le silence est une prairie favorable aux ruminants de l’éternité, et des animaux très sympathiques y sont attirés auprès de moi, presque chaque jour, par la luxuriance du