Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 1.djvu/120

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Je ne doutois point de la surprise que te causeroient les nouveautés que tu vois. La premiere fois que je partis de Constantinople pour aller à Vienne, je me trouvai dans un pareil cas au tien. Nourri dans les manieres Levantines, tout ce qui n’en approchoit pas me paroissoit extraordinaire. J’ai ri de bon cœur de ta méprise sur les chanteuses de l’opéra, & de l’embarras que te causa le sermon. J’ai fait voir tes lettres à Osman Bacha [1], qui depuis quelques jours, est arrivé dans ce pays.

Il a trouvé juste le jugement que tu as porté sur l’état des sciences en France. Tes réflexions sur notre religion ont occasioné, entre son secrétaire & moi, une dispute vive & plaisante. C’est un jeune homme qui s’est fait mahométan depuis trois ans. Il avoit été quelque tems moine. Ensuite, las du nazaréisme, il vint se faire Turc. Le Bacha le vit, lui trouva beaucoup de talent, & le prit à son service. Il a voulu me prouver que la véritable religion étoit la mahométane, & qu’elle contenoit le judaïsme épuré, tel qu’il étoit dans le tems que Dieu donna les tables de Moïse. J’ai été surpris de le voir si zélé pour Mahomet. Je croyois qu’il étoit aussi mauvais turc

  1. Le comte de Bonneval.