Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 2.djvu/151

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Et puisque je te regarde comme un ami à qui je puis confier mes plus secrettes pensées, je te dirai que j’ai résolu d’embrasser les sentimens des caraïtes, & de quitter entièrement les opinions des rabbinistes, je sçais que mon changement va faire un bruit étonnant ; que nos synagogues en murmureront ; qu’étant un des anciens rabbins, ma démarche peut avoir des suites, & faire ouvrir les yeux à bien d’autres : mais les intérêts humains ne doivent point nous empêcher de suivre la vérité dès que nous l’appercevons. Pour donner moins d’occasion de parler de mon changement, j’ai déjà prétexté un voyage en Egypte. Je vais m’établir au Caire, où je vivrai avec mes nouveaux frères, juifs épurés, & les seuls observateurs de la loi de Moyse [1].

Comme tu pourrois croire que j’ai embrassé cette opinion, sans l’avoir examinée, je te détaillerai les raisons qui m’y ont déterminé.

Nos rabbins disent que tout ce qui fut ordonné à Moyse sur la montagne, ne fut point écrit dans les deux tables, ou compris même dans le pentateuque. Ils soutiennent qu’il est évident que si

  1. Il y a au Caire, à Constantinople, & même en Moscovie, plusieurs caraïtes. Ils ont leurs synagogues à part, & se regardent comme les seuls véritables juifs.