Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 2.djvu/199

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qui tienne de la servitude. Un François se promenant dans la place de S. Marc, heurta par mégarde un noble Vénitien, qui l’arrêtant gravement par le bras, le pria de lui apprendre quelle bête il croyoit la plus lourde & la plus pesante. Le François étonné d’une pareille question, ne sçachant pourquoi ce Vénitien s’adressoit à lui plutôt qu’à un autre pour s’éclaircir de ce qu’il vouloit sçavoir, resta quelque tems sans répondre. Mais le Vénitien, sans rien perdre de sa gravité, lui ayant redemandé la même chose, le François répondit bonnement qu’il croyoit que la bête la plus lourde étoit un éléphant. « Hé bien, dit fièrement le Vénitien. apprenez, monsieur l’éléphant, qu’on ne heurte point un noble Vénitien : « Impara, signor elefante, che non s’impegna un nobile Veneziano. Un autre noble se trouvant dans une rue étroite, & la longue épée d’un Espagnol qui le précédoit, l’empêchant de passer, lui demanda avec beaucoup de sang-froid, s’il falloit passer dessous ou dessus Signor, si cavalca, o si passa sotto ? Il seroit dangereux de vouloir répondre à ces plaisanteries qui tiennent de l’invective ; & quiconque manqueroit à Venise de respect à un noble, se feroit une affaire