Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 2.djvu/48

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mais elle détourna les siens en rougissant un peu.


Il faut être amoureux, ou l’avoir été, pour dépeindre aussi véritablement & aussi délicatement tous les mouvemens de l’amour. Le génie, l’esprit & la science ne peuvent faire de portraits aussi ressemblans. Le cœur seul peut atteindre à ce point. Quand je dis le cœur, j’entends un cœur tendre, & qui s’est trouvé dans ces situations. Voici le caractère d’une prude amoureuse. Peu sûre dans ses démarches, c’étoit un mélange perpétuel de tendresse & de sévérité. Elle paroissoit ne céder que pour s’opiniâtrer à combattre. Si elle croyoit m’avoir disposé par ses discours à quelque sorte d’espérance, attentive à me faire perdre, elle reprenoit sur le champ cet air qui m’avoit fait trembler tant de fois, & m’ôtoit par-là jusqu’à la triste ressource de l’incertitude.

On ne peut s’empêcher d’être frappé du vrai & du naturel qui regne dans ce portrait. Sans l’usage du monde & la connoissance parfaite des mœurs, on ne sçauroit atteindre à ce point. Il est difficile de démêler les différentes formes, & pour ainsi dire les mouvemens intérieurs des différens caractères. Un écrivain médiocre les effleure : un bon auteur les dépeint, les met sous les yeux, & les expose tels qu’ils sont.