Page:Boyer d’Argens - Thérèse philosophe.djvu/27

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d’entendre, mais bien plus affectée de l’idée de l’aimable serpent que de celle des remontrances et des menaces qui m’avaient été faites à son sujet. Néanmoins, j’exécutai de bonne foi ce que j’avais promis ; je résistai aux efforts de mon tempérament et je devins un exemple de vertu.

Que de combats, mon cher comte, il m’a fallu rendre jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, temps auquel ma mère me retira de ce maudit couvent ! J’en avais à peine seize lorsque je tombai dans un état de langueur qui était le fruit de mes méditations, elles m’avaient fait apercevoir sensiblement deux passions dans moi, qu’il m’était impossible de concilier. D’un côté, j’aimais Dieu de bonne foi, je désirais de tout mon cœur le servir de la manière dont on m’assurait qu’il voulait être servi. D’un autre côté, je sentais des désirs violents dont je ne pouvais démêler le but. Ce serpent charmant se peignait sans cesse dans mon âme et s’y arrêtait malgré moi, soit en veillant, ou en dormant. Quelquefois, tout émue, je croyais y porter la main, je le caressais, j’admirais son air noble, altier, sa fermeté, quoique j’en ignorasse encore l’usage ; mon cœur battait avec une vitesse étonnante, et dans la force de mon extase ou de mon rêve, toujours marqué par un frémissement de volupté, je ne me connaissais presque