Page:Boyer d’Argens - Thérèse philosophe.djvu/29

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bien fait apercevoir les deux passions dont j’étais agitée : c’est par elle que j’ai conçu par la suite que, tenant tout de Dieu, je tenais de lui ces passions dans toute la force où elles étaient ; mais cette même raison qui m’éclairait ne me décidait point. Dieu, cependant, continuerez-vous, vous ayant laissée maîtresse de votre volonté, vous étiez libre de vous déterminer pour le bien ou pour le mal. Pur jeu de mots. Cette volonté et cette prétendue liberté n’ont de degré de force, n’agissent que conséquemment aux degrés de force des passions et des appétits qui nous sollicitent. Je parais, par exemple, être libre de me tuer, de me jeter par la fenêtre. Point du tout, dès que l’envie de vivre est plus forte en moi que celle de mourir, je ne me tuerai jamais. Tel homme, direz-vous, est bien le maître de donner aux pauvres, à son indulgent confesseur, cent louis d’or qu’il a dans sa poche. Il ne l’est point : l’envie qu’il a de conserver son argent étant plus forte que celle d’obtenir une absolution inutile de ses péchés, il gardera nécessairement son argent. Enfin, chacun peut se démontrer à soi-même que la raison ne sert qu’à faire connaître à l’homme quel est le degré d’envie de faire ou d’éviter telle ou telle chose, combiné avec le plaisir ou le déplaisir qui doit lui revenir. De cette connaissance acquise par la raison il