Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parapet ? Est-ce qu’elle sait ? Est-ce qu’elle réfléchit ? Est-ce qu’elle étiquette ses sentiments ? Plus tard, longtemps après, elle vous répondra ; quand le temps aura passé et aplani le terrain, quand sa pauvre cervelle ne sera plus exposée à se pencher vers ces défaillances du sol qui appellent avec une insistance à vous rendre fou.

Que l’on songe aussi qu’il est exceptionnel qu’une femme demeure à penser, envahie par une torpeur étrange, aussi longtemps que le fait Mme Belvidera, sans qu’un être humain, en passant, vienne s’emparer de son attention mobile. En vérité, si cela durait un peu plus, elle finirait peut-être par savoir si elle aime ou n’aime pas son amant !

Dieu merci, voici quelqu’un.

Ah ! c’est Solweg.

La jeune fille s’avance dans une gracieuse toilette mauve qui s’allie à ravir au blond tendre de ses cheveux. Sa taille fine a la souplesse d’un jonc. La voir marcher vous fait sourire et vous donne frais. Elle est quelquefois joyeuse comme une enfant ; quelqu’un lui a dit un jour qu’elle était plus jeune que la petite Luisa, son amie. D’autres fois une grande mélancolie affine toute la chair de son visage et répand une ombre trop large autour de ses yeux pareils à la goutte d’eau qui reflète le ciel pur. Mme Belvidera se sent soulevée, attirée vers elle ; n’est-ce pas un secours que la Providence lui envoie ? Ah ! Dieu ! embrasser cette jeune fille et parler d’enfantillages !

Elle a fait un mouvement vers Solweg ; elle a failli lui tendre les mains. Mais Solweg, en l’apercevant, a pris cette figure froide, immobile et sans saveur qu’elle lui a déjà remarquée si souvent depuis le jour du déjeuner à l’Isola Bella. Solweg ne lui parle qu’à l’occasion de la petite Luisa, qu’elle aime. Dans toute autre