Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/130

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cendre vers les jardins. La plupart inclinaient la tête un peu sur l’épaule. Dompierre se souvint d’avoir un jour vu Mme  de Chandoyseau et sa suite l’admirer ainsi de loin, pour rien, parce qu’il était étrange, simplement. Aujourd’hui que son étrangeté prenait de la précision dans ces cervelles de moineaux, on se moquait de lui. « Il est vierge ! » telle était la phrase creuse que prononçaient toutes les bouches. L’était-il dans le sens vulgaire où ces personnes l’entendaient ? La question importait assez peu, depuis qu’était connue la triste virginité morale dont lui-même essayait de se faire gloire et dont il était accablé.

Le jeune homme resta un assez long temps, volontairement isolé, dans la torpeur de la chaude après-midi. Comme chaque jour, quelques notes de piano tintaient, sous les doigts moites d’une femme, interrompues infailliblement par la prompte fatigue de ces heures lourdes. Le tonneau d’arrosage, dans les allées de gravier, promenait son ondée quotidienne. Gabriel regardait de loin la jeune femme qui se préparait pour lui à la plus voluptueuse des soirées, et chacun des mouvements de sa nuque ou de ses mains lui faisait frémir toute la chair.

Où donc allait le pauvre Lee, à cette heure délicieuse et terrible ? Partait-il déjà pour une de ses promenades solitaires où, dans la compagnie de son vieux batelier muet, il s’acharnait, jusqu’au cœur de la nuit, à tirer de la puissance de son rêve l’équivalent du simple plaisir humain qui lui était interdit ? Ou bien, qui sait ? peut-être cherchait-il l’amour ? Peut-être épuisait-il son désespoir d’aimer, le long de ces belles rives peuplées de créatures si diverses ? Allait-il à Baveno, à Pallanza, ou simplement le long des petites maisons des pêcheurs, en quête d’un regard capable de lui fournir ce coup de folie, cette idéalisation élé-