Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/190

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La vue du révérend Lovely s’avançant à pas prudents du côté d’une tonnelle du jardin où Mme de Chandoyseau s’était tenue toute la matinée, lui fournit, en même temps qu’une angoisse nouvelle, une réponse inattendue. Il se souvint de la singulière coïncidence de la réflexion de Mme de Chandoyseau accueillant le baiser du vieillard amoureux, et de celle que lui avait valu de la part de Luisa sa demande hardie de rendez-vous, au nez même de son mari. « Eh bien ! vous en avez du toupet ! ». Toutes les deux avaient prononcé cette phrase sur le même ton, à la fois indignées et conquises, un peu méprisantes et heureuses. « Cet homme arrivera à ses fins, avait dit Lee, parce qu’il a la vertu qu’il faut : il est cynique ». Ne serait-ce pas par son cynisme, que lui aussi aurait soulevé une dernière fois sa maîtresse, alors qu’elle se fût peut-être refusée à ses supplications ? N’était-ce pas à ce piment inattendu qu’il était redevable de cette exaltation fiévreuse qui lui avait suggéré tant d’espoir pour la prolongation de son bonheur, à quoi il devait enfin les illusions grossières dont Mme de Chandoyseau avait pris à tâche de le tirer ? Luisa serait-elle venue sans cette circonstance fortuite qui valait un ragoût nouveau à leur étreinte ? Non, évidemment ! Si elle aimait son mari comme un amant, il lui fallait aimer son amant autrement que son mari. Sans doute l’avait-elle trouvé ce jour-là un peu abject, et, dans son affolement, tiraillée entre les deux hommes, elle se vautrait à corps perdu dans cet amour qui empruntait à sa bassesse un caractère particulier de violence.

« Ah ! ah ! n’est-ce pas charmant, en vérité ? se disait-il. J’ai triomphé par les mêmes moyens exactement que ce vieux prédicant qui s’en va là-bas, reniflant l’air où il croit qu’Herminie respire !… Et il y a des malheureux qui s’enorgueillissent d’être aimés !