Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/192

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repos fallacieux, dès l’instant que le mal est accompli.

La vue du malheureux vieillard réduit par une passion sénile à mener l’existence d’un collégien, fuyant la surveillance, fouillant les chambres de l’hôtel, les allées du jardin, les berceaux d’ombrage où la femme qui le trouble a passé ; tombé jusqu’au mensonge, à la dissimulation du moindre de ses pas ; transformé au point d’oublier la pudeur et la Bible qui furent toute la préoccupation de sa vie, mit le comble à la tristesse de Gabriel, en lui laissant une véritable nausée à la seule idée de l’amour.

Hélas ! il le sentait en lui plus impérieux, plus maître qu’à aucun moment de son existence, et il en concevait un dégoût ; il se débattait contre lui avec la rage que cause la répulsion profonde ; il eût éprouvé du plaisir à dire à quelqu’un l’horreur que cette maladie lui causait, à traîner dans la boue tout ce qui pouvait avoir trait à une aussi misérable aberration ; il voulait le cracher, son amour, le vomir dans quelque endroit bien immonde.

Mais, dès que, au lieu de penser à l’espèce de feu qui lui brûlait la poitrine et tous les membres, il revoyait l’image de la femme, la figure, le corps affolant, et les gestes de tendresse de celle qui lui causait ces désordres, il avait la sensation que le ciel et la terre se fondissent au dedans de lui, en quelque substance sans nom dans la langue humaine, et dont la saveur, même imaginaire, le rendait infailliblement ivre.

Il allait sortir, malgré la température accablante de la journée orageuse. Il voulait marcher, aller n’importe où, très loin, s’endormir par la fatigue, quand il se heurta, à la sortie de l’hôtel, à trois gamins portant sur leur tête des paniers de fleurs si admirables, qu’il se retourna malgré lui pour voir plus longtemps