Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/208

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— Ohé ! ohé !… vingt francs au premier qui me détache une barque !

À ce moment il entendit quelqu’un courir derrière lui, et, se retournant, il aperçut Solweg. Elle avait la figure blanche comme sa chemisette de percale dont le pureté de neige contrastait avec le paysage sombre et souillé par l’ouragan. Le vent avait bouleversé ses cheveux et lui ébouriffait les tempes de leur jolie poussière d’or. Il crut qu’elle avait quelque chose à lui dire, car elle courait vers lui et il était seul. Elle ouvrait la bouche, en effet, pour parler ; mais il détourna aussitôt la tête vers trois bateliers qui se précipitaient à son service. Il ne fit qu’un bond et fut dans la barque la plus rapprochée. Il prit un seul rameur et empoigna lui-même la seconde paire d’avirons, afin de ne penser à rien pendant la traversée.

— Mauvais temps ! fit le batelier.

— Oui, oui, dépêchons-nous !

L’homme dodelina de la tête et dit :

— La demoiselle avait raison, monsieur.

— La demoiselle ? Quelle demoiselle ?…

— Dame ! quand on tient à quelqu’un !… Elle ne voulait pas laisser partir monsieur ?

Gabriel releva la tête du côté de Solweg qu’il avait oubliée. Il la vit porter son mouchoir à ses yeux et s’enfuir en courant.

Quoi ! était-il vrai que cette pauvre enfant l’aimait ? Il revit sa figure éplorée, ses cheveux blonds en désordre, sa bouche entr’ouverte pour lui dire un mot qu’il ne lui avait pas laissé le temps de prononcer.

Elle voulait lui dire : « Ne partez pas, je vous en supplie ! » Mieux valait qu’il ne l’eût pas entendu, puisqu’il aurait eu la dureté de lui montrer qu’il méprisait sa supplication.

Puis, les efforts physiques qu’il était obligé de faire