Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/227

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vous êtes relevée brusquement, comme si le son de ma voix vous étonnait ; peut-être ne saviez-vous plus que c’était dans mes bras que vous étiez ?

— Oh ! vous êtes dur !… Je ne savais rien, allez ! j’étais folle !

Les larmes lui vinrent aux yeux tout à coup. Elle lui entourait le cou de ses bras. Et elle lui demandait : « Pardon ! pardon ! »

— Luisa, vous me trahissez tout le temps, même au milieu de vos meilleures caresses !…

— Qui, dites-vous que je trahissais ?

Il n’osa répéter que c’était lui qui se plaignait d’être trahi. Ils se regardèrent tous les deux, ayant chacun dans les yeux cette flamme d’ironie amère qui jaillit souvent comme une étincelle, entre les amants, et où il y a une sorte de joie, de la cruauté ou même de la vilenie exécutée de complicité, avec un peu de pitié sur soi-même.

Il fit malgré lui un « ha ! » avec l’air de rejeter quelque chose de nauséabond.

— Qu’est-ce que vous voulez ? dit-elle, l’amour a un goût âpre, à ce qu’il paraît… Ça vous dégoûte ?

Il admirait sa fermeté d’amante ; elle ne faiblissait pas un instant, elle était imperturbable dans le maintien de son rôle écrasant. Ils remuaient à eux deux tout ce que leurs relations avaient pu contenir d’écœurant : elle était soulevée jusqu’aux larmes par la brûlure des souvenirs évoqués, et par le souvenir des plus cuisantes douleurs ; elle abîmait, meurtrissait, traînait dans la boue son amant vis-à-vis de l’image vivante de sa passion légitime ; elle lui enfonçait dans la chair avec une insistance de tortionnaire l’humiliation de cet autre amour jamais éclipsé par lui ; et elle restait à côté de lui toute prête à poursuivre avec frénésie l’étrange association de leurs deux êtres exaspérés.