Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tres groupes, le même genre d’attention fut éveillé par son passage. Il commençait à envoyer son sosie à tous les diables, quand l’idée lui vint que les gens qu’il avait le désagrément d’intéresser pouvaient bien être tout simplement ceux qui avaient été témoins, la veille, de son escapade de Cadenabbia. Le « c’est lui ! » s’appliquait à « l’homme à la gageure ». Il oubliait que le bruit de ce prétexte stupide à son expédition aventureuse avait dû circuler de bouche en bouche dès aussitôt qu’il l’avait formulé dans le but de satisfaire la curiosité publique. Il devait passer à Bellagio pour un sportsman excentrique et désœuvré, et il se trouvait assurément là quelqu’un pour affirmer l’avoir vu sur la piste de Mollier en costume d’acrobate. Cette probable renommée le laissait sans orgueil.

Il aperçut vis-à-vis d’un magasin de soieries le boléro éclatant de Carlotta. Pauvre fille ! Elle était en butte à un sentiment de curiosité plus violent que celui qui l’incommodait, lui, depuis cinq minutes. Tout le pays était occupé d’elle. On l’entourait, on la suivait ; quand elle entrait dans un magasin, les badauds faisaient ombre devant la vitrine. Elle, grisée par son or, tenait tête à la sottise publique et marchait au milieu de ces imbéciles, n’obéissant qu’à son sourd instinct de luxe et de parure.

Dompierre s’approcha d’elle. En le reconnaissant, Carlotta se mit à rougir. Elle se rappelait qu’il l’avait vue hier dans la chambre de Lee, et cette pensée, au milieu de tout le monde, et lorsque sa pudeur n’était plus domptée par l’appât de l’or, la rendait toute honteuse. Elle fit un mouvement pour se détourner, mais il croyait au contraire lui être agréable en lui offrant son appui chevaleresque au nez de cent importuns qui étaient attachés à ses pas.

— Où allez-vous donc, Carlotta ?