Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/264

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plus continuer de vivre à côté de cette jeune fille dans les conditions où je me trouvais : nous sommes plus rapprochées chaque jour ; à Stresa, je l’évitais encore ; mais ici…

— Je ne pense pas que ce rapprochement soit de longue durée, car il faut vous avertir que votre mari a une raison de ne pas resserrer son intimité avec la famille de Chandoyseau.

— Laquelle ?

— Ce que vous redoutiez est accompli déjà : Madame de Chandoyseau a parlé.

— Comment ! mais quand ça ? ce matin ? mais alors que signifie cette promenade à nous trois organisée aussitôt après un coup pareil ?… Mon mari n’a pas cru !…

Gabriel affirmait seulement par signes. Elle n’attendait même pas ses paroles :

— Ah ! dit-elle, je comprends ! je devine ce que vous a dit mon mari : il ne nous a soupçonnés ni l’un ni l’autre ; il nous manifeste une confiance plus vive que jamais. Je reconnais bien là son caractère !

Il y eut un moment de silence.

— Et vous vous étonnez, dit-elle, que je m’humilie, que je me jette aux pieds d’une jeune fille ! Moi, la femme d’un homme comme celui-là, et qui le trahis, et qui traîne son nom, son honneur, dans la bave des marchandes de cancans et des portières !… Mais je devrais me rouler par terre n’importe où, demander pardon aux pierres même à qui je dois faire honte… Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! ayez pitié de moi !… Voyez, dit-elle, je n’entends plus sa voix, il nous a laissés, sûr de moi et de vous ; il nous laisserait la nuit là, s’il croyait m’être agréable, et il ne douterait pas un seul instant que sa femme, que la mère de son enfant, ne soit digne de lui !… Mais qu’est-ce que vous m’avez donc fait, vous ? Quel homme êtes-vous donc