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Page:Boylesve - Le Parfum des îles Borromées, 1902.djvu/275

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sait en tremblant, à la façon des animaux qui pressentent un malheur.

— Carlotta ! hurlait Paolo ; vas-tu bouger ! j’ai là une barque qui t’attend et ta mère est avec moi ; nous allons passer directement à l’Isola Madre, pour les fleurs !…

— Non ! fit Carlotta qui se décida à desserrer les dents ; je vais jusqu’à l’Isola Bella.

— Ah ! tu vas jusqu’à l’Isola Bella ! Ah ! chienne ! ah ! coureuse ! je vais te faire voir, moi, si tu iras comme ça à ta fantaisie ! Ah ! tu ne veux pas quitter ta société ! Mais pourquoi aussi est-ce que tu ne te fais pas enlever tout à fait par tes étrangers, dis ! dis !

Le malheureux prononçait ce mot d’« étrangers », forestieri, avec toute la haine et tout le mépris dont il était capable ; il leur crachait à la figure à tous, dans l’impossibilité où il était d’atteindre celui qui détournait sa fiancée.

— Laissez-la, laissez-la ! lui disait-on, qu’est-ce que ça vous fait ? elle descendra plus loin, à l’Isola Bella.

Mais il était furieux : il n’entendait rien ; il culbutait tout le monde. Dans sa sourde jalousie, il croyait que les matelots la retenaient pour lui « faire des galanteries ». Il se jeta sur Carlotta et, l’empoignant à bras le corps, ce bout d’homme plus petit qu’elle l’emporta en un tour de main jusque sur le quai. Elle se débattait et hurlait. Personne de ceux qui savaient le caractère de Carlotta, son dédain ordinaire envers les menaces, ne comprenait cette frayeur subite à suivre Paolo et sa mère venus au-devant d’elle, pour la transporter en barque à l’Isola Madre.

Les roues du vapeur battirent à grand bruit et étouffèrent les cris de la malheureuse Carlotta. Tout le monde demeura péniblement ému de cette brusque sé-